Temps de lecture : 15 minutes | Publié le 02/12/2022 | Jean (INCI Beauty)
Les nanoparticules font maintenant partie intégrante de notre quotidien. Toutefois, les connaissances des risques et dangers de ces matériaux restent encore floues. L’étude de leurs conséquences négatives et l’élaboration de réglementations semblent nécessaires pour veiller à la protection de la santé humaine et de l’environnement. Ainsi, ces vingt dernières années ont permis l’élaboration de nouvelles méthodes d’évaluation pour mieux prendre conscience des risques générés par les nanomatériaux.
Ce qui fait leur force est également l’origine de leur dangerosité. En effet, la taille des nanomatériaux rend impossible leur élimination par les stations d’épuration. Les nanoparticules sont donc relâchées dans l’environnement. Bien que peu polluants, les nanoparticules ne sont pas recyclables. Et en dépit de leur petite taille, ils représentent un important volume de déchets. Par exemple, en 2008, la production de nanoparticules d’argent représentait 500 tonnes, soit près de 3% de la production mondiale d’argent [1].
Des études réalisées en 2012 démontrent également une accumulation des nanoparticules : 70% dans les sols et sédiments sous différentes formes (inchangée, sulfure d’argent, lié à la matière organique…) et 30 % dans les plantes terrestres et les animaux aquatiques. Un fait alarmant de l’étude est que les nanoparticules pourraient être transmises par les femelles aux embryons [1].
Une majorité des études récentes démontrent le caractère cytotoxique des nanoparticules. En effet, la taille nanométrique des particules leur permet de synthétiser des radicaux libres et ainsi d’endommager les membranes cellulaires et les chromosomes. Les nanoparticules d’argent, par exemples, utilisées dans les emballages alimentaires, les vêtements ou encore les brosses à dents libèrent des ions d’argent qui interagissent avec les atomes de soufre dans les protéines des membranes cellulaires et avec les atomes de phosphore de l’ADN. Ces nanoparticules sont également toxiques pour les poissons. Il s’agit d’un exemple parmi tant d’autres du danger mortel sur les animaux -à court ou long terme- de certaines nanoparticules. Les plantes absorbent également les nanoparticules. Des études démontrent que certaines nanoparticules peuvent affecter la croissance de végétaux et provoquer une inhibition complète de la germination [1].
Le traitement des nanodéchets est important et essentiel à la pérennité de l’usage des nanoparticules. Malheureusement, à l’heure actuelle, aucune filière de traitement des nanodéchets n'existe. Ils sont, pour la plupart, dirigés vers les filières classiques de traitement. Les déchets dangereux contenant des nanoparticules sont, quant à eux, dirigés vers les filières d’élimination spécifiques aux déchets dangereux mais qui ne tiennent pas compte de la spécificité physico-chimique des nano-objets. Des études sont actuellement menées autour des dangers de tels traitements et sur l’élaboration de méthodes d’élimination propres aux nanoparticules [2].
Dans notre vie quotidienne, nous sommes constamment au contact de nanoparticules manufacturées. La toxicité de ces particules est donc un sujet sérieux et incontournable. La toxicité des nanomatériaux dépend de multiples paramètres physico-chimiques : composition chimique, taille, forme, structure… Ainsi chaque nanomatériau possède un profil toxicologique qui lui est propre. Malgré le manque de données scientifiques de leurs toxicités pour la santé humaine, des études suspectent leur capacité à passer les barrières biologiques et leurs effets sur les systèmes inflammatoires, respiratoires, cardiovasculaires ou neurologiques [3].
Comparées à leurs homologues macroscopiques, les nanoparticules ont des niveaux de pénétration et d’interaction plus importants. Cela facilite leurs passages dans les cellules de l’organisme. Quatre voies d’exposition aux nanoparticules existent : la voie respiratoire, la voie cutanée, la voie orale et la voie transplacentaire [1].
Les risques relatifs à l’exposition cutanée, notamment à travers les cosmétiques, soulèvent beaucoup d’intérêt. La question est difficile à répondre. En effet, plusieurs facteurs sont à prendre en compte. S’ajoute à cela une disparité de la capacité de pénétration des nanoparticules en fonction de leur taille. En effet, une étude a démontré que les nanoparticules de moins de 20 nm pourraient franchir la barrière cutanée, tandis que celles de tailles comprises entre 20 et 45 nm traverseraient uniquement les barrières cutanées endommagées et celles de plus de 45 nm ne pourraient pas pénétrer la peau et resteraient à la surface de l’épiderme ou seraient présentes dans le stratum corneum [4]. Le résultat des différentes études fluctue donc selon la taille de la nanoparticule. Une généralité ne peut donc pas être établie. Toutefois, de nombreuses études suggèrent que même si certaines nanoparticules ne pénètrent l’épiderme, elles peuvent s’accumuler et persister dans les follicules pileux. Un autre paramètre à prendre en compte est l’intégrité de la barrière cutanée ou la présence de maladies de la peau. La dermatite allergique de contact, l’eczéma atopique et le psoriasis mais aussi les flexions mécaniques, l’usage de détergents irritants et de produits chimiques peuvent augmenter l’absorption des nanoparticules au travers de lésions cutanées [1]. Il est important de noter que la toxicité des nanoparticules ne peut pas être généralisée. En effet, chaque nanoparticule possède des risques différents. S’ajoute à cela le manque d’études et de recherches autour de ces risques. Néanmoins, à travers de récentes études, certaines nanoparticules sont suspectées nocifs voire cancérigènes pour l’humain.
L’appareil respiratoire est la voie d’entrée des particules inhalées. Ces particules se déposent ensuite à des niveaux différents des voies respiratoires selon leur granulométrie. Certaines nanoparticules, de taille inférieure à 20 nm, peuvent atteindre l’arbre trachéobronchique. Une fois inhalées, les nanoparticules peuvent être éliminées par des mécanismes de défense du corps humain appelés mécanismes de clairance. Cette élimination dépend toutefois de divers facteurs notamment de la taille, du nombre, de la solubilité et de la composition chimique des nanoparticules, ainsi que du site précis de dépôt et de l’état de l’appareil respiratoire. La rétention pulmonaire des nanoparticules sera d’autant plus importante que les patients seront atteints d’une pathologie obstructive (asthme ou la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO)). Cependant, si les nanoparticules ne sont pas correctement éliminées, elles peuvent pénétrer la couche de mucus et s’accumuler dans les cellules épithéliales. Cette rétention de particules dans les poumons peut alors entraîner une réaction inflammatoire et être à l’origine de pathologies pulmonaires, d’asthme, de bronchite chronique voire de cancers. Il n’existe pas actuellement de preuve incontestable de pathologies respiratoires induites chez l’homme par l’inhalation de nanoparticules manufacturées. Les données actuelles ont été obtenues dans le cadre de recherches sur l’animal ou d’études effectuées sur des cultures cellulaires. Néanmoins, face au degré des dangers encourus, l’exposition chronique aux nanoparticules est un facteur de risque à prendre en compte. Par précaution, il est primordial de préconiser la protection des personnels qui travaillent dans les usines de fabrication et les ateliers de manipulations de ces nanoparticules, en particulier les femmes enceintes [1].
Au cours des deux dernières décennies, les nanotechnologies se sont fortement développées dans le secteur de l’alimentation. Elles sont utilisées non seulement pour améliorer le goût, la texture ou la couleur des produits mais également dans la fabrication des emballages alimentaires. Le risque se situe donc dans l’aliment tout comme dans l’emballage, éventuellement capable de transférer des nanoparticules aux aliments qu’ils protègent. Il s’agit dans ce cas d’une exposition par voie orale aux nanoparticules. Des études sur le rat démontrent que certaines nanoparticules passent la barrière intestinale et induisent une réponse inflammatoire. On peut citer l’exemple de l’additif E171 aussi connu sous le nom de dioxyde de titane utilisé dans les sucreries. En 2021, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) considère que le E171 en tant qu'additif alimentaire ne peut plus être considéré comme sûr à cause des risques d’effets de génotoxicité encourus par les consommateurs. Un an après, soit en 2022, l'Europe interdit l'utilisation du dioxyde de titane comme additif alimentaire [1][5].
L’exposition aux nanoparticules durant la grossesse soulève également des inquiétudes. Le passage des nanoparticules par voie transplacentaire est donc au coeur de nombreuses études. Des études ont été réalisées sur des rongeurs et sur le modèle du placenta 29 humain ex vivo pour déterminer et quantifier le passage des nanoparticules. Elles démontrent qu’après exposition des nanoparticules sont identifiées dans les placentas et membranes foetales[1]. Cette rétention peut être reliée à la libération de médiateurs inflammatoires par le placenta. Ainsi, une précaution particulière est conseillée aux femmes enceintes [1].
Les nanotechnologies représentent une voie d’innovation et de recherche dans plusieurs secteurs. Malheureusement, seul 2% de la recherche concerne leur effet pour la santé [6]. Il est donc difficile de déterminer le danger réel que représente les nanoparticules pour la santé humaine. De nos jours, le sujet semble susciter l’intérêt du publique motivant ainsi les industriels et chercheurs à entreprendre davantage d’études toxicologiques.
Au cours des dernières années de nombres études ont démontrées le profil toxicologique de nanoparticules considérées « sans danger ». Face à ces nouvelles données et révélations, la France établit des mesures de sécurité sanitaire et de prévention chaque année. En effet, les connaissances autour des nanoparticules, les méthodes de détection et d’analyse et les techniques d’évaluation des risques évoluent. Ainsi les avis et réglementations qui en découlent évoluent également. Les réglementations et normes concernant l’utilisation des nanoparticules concernent essentiellement les industries de cosmétiques, de biocides et de produits alimentaires. D’autres règles de sécurité et de précaution voient le jour pour encadrer la fabrication des nanoparticules et leur gestion en fin de vie. Toutefois ces réglementations diffèrent selon les secteurs et pays. Le règlement européen REACH (Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals) est mis en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l'utilisation des substances chimiques dans l'industrie européenne [7].
Ces réglementations s’exercent sur les nanomatériaux, soit sur matériau dont au moins 50% des particules possèdent une taille comprise entre 1 et 100 nm [4]. Toutefois, dans certains cas pour des raisons liées à la protection de l’environnement, à la santé publique à la sécurité ou à la compétitivité, le seuil de 50% est abaissé à un seuil compris entre 1% et 50%. Par ailleurs, la définition de nanomatériaux s’étend également à tout matériaux présentant une surface spécifique en volume supérieure à 60 m2/cm3. Il s’agit de la définition émise par la Commission Européenne en 2020. Cette définition n’est pas fixe. En effet, d’autres définitions sont proposées par différentes organisations de secteurs différents et subissent des modifications fréquentes.
La mention [nano] est l’une des premières règlementations mise en place dans l’Union Européenne. En effet, le règlement de l’Union Européen n° 1169/2011 dit INCO concernant l’information du consommateur sur les denrées alimentaires, le Règlement Cosmétique et le Règlement Biocides rendent obligatoire la mention « nano » suivi de l’ingrédient concerné sur l’étiquette du produit vendu [1][8]. La mention « nano » est rentrée en vigueur en 2014 pour les denrées alimentaires et en 2013 pour les cosmétiques et les biocides [9]. L’objectif de cette mesure est d’instaurer une meilleure transparence de l’utilisation des nanoparticules dans les produits mis en vente. Toutefois l’absence d’une méthode normée de mesure des nanoparticules rend difficile l’application des règlements. En effet, malgré la mise en application de cette législation, de nombreux industriels du secteur alimentaire, cosmétique et biocide ne respectent pas toujours l’étiquetage exigé [4].
Pour une meilleure connaissance des nanoparticules, le règlement REACH a été mis en place. Il s’agit de recenser, d’évaluer et de contrôler les substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen. La déclaration « R-Nano » est obligatoire auprès d’autorités certifiées : elle comprend l’identité, la quantité, les propriétés physico-chimiques, les usages et les informations disponibles relatives aux dangers susceptibles liés aux nanoparticules. En France, ce règlement est rentré en vigueur en 2013. Au fil des années, des modifications ou clarifications concernant les informations à fournir ont vu le jour. L’objectif de cette déclaration est de mieux connaître les nanomatériaux mais surtout de disposer d’une traçabilité des filières d’utilisation et d’une meilleure connaissance du marché et des volumes commercialisés [8]. Toutefois cette obligation ainsi que la mention « nano » ne s’applique que sur les nanomatériaux. Cela signifie -outre exceptions- que tout matériau contenant une distribution des particules de taille nanométrique inférieure à 50% n’est pas concerné par ces règlements [1]. De plus, l’absence d’uniformité des textes et de méthodes normées autour des nanomatériaux permettent à certains industriels d’échapper aux règlements de déclaration « R-Nano » et à l’étiquetage de la mention « nano » [10].
A ce jour, il existe des listes de nanoparticules interdits ou autorisées dans les secteurs de l’alimentation, la cosmétique ou pour les biocides. Ces listes ne sont pas fixes et évoluent en fonction des études réalisées sur les risques pour la santé humaine ou l’environnement. Dans le cas des biocides, le risque de certains nanomatériaux n’étant pas évalué, une autorisation spécifique est nécessaire à leurs utilisations [1]. Concernant l’industrie alimentaire et cosmétique, les règlements européens et français ne prévoient pas toujours les seuils d’utilisation. En effet, le manque d’informations autour des nanoparticules rend difficile une législation complète et adaptée. Seules des précautions d’utilisation sont proposés aux industriels.
L’exposition professionnelle aux nanoparticules représente également un risque sanitaire. Toutefois, aucune réglementation française et européenne de valeurs limites existe à ce jour. En France, il existe des valeurs limites d’exposition relatives à différentes catégories de poussières. Cependant, ces valeurs limites ne sont pas pertinentes. En effet, elles ne découlent d’aucune étude toxicologique et leur respect ne constitue pas forcément une garantie de ne pas développer une pathologie. Il convient donc de rechercher, quelle que soit l’opération effectuée, le niveau d'exposition le plus bas possible pour une protection optimale [11].
Pour optimiser et compléter les règlementations de l’utilisation des nanoparticules, de nouvelles dispositions sont actuellement mises en oeuvre pour développer des outils législatifs adaptés. Au niveau européen, plusieurs programmes sont développés pour évaluer la toxicité et les risques autours des nanomatériaux permettant ainsi une liste plus complète des nanoparticules à risques ou à bannir [4].
Remerciements : Katy Velayoudon, Elève ingénieure à SIGMA Clermont, pour les recherches effectuées dans le cadre d'un stage de fin de 1ère année chez INCI Beauty.
Sylvie DUCKI, professeure de chimie organique à SIGMA
Sources :