FEBEA Partie 1: Le code EAN13 n’a pas vocation à identifier les produits

Temps de lecture : 8 minutes | Publié le 06/12/2018 | Jean (INCI Beauty)

Nous reprenons notre petite enquête sur le livre blanc publié par la FEBEA (Fédération des Entreprises de la Beauté) le 26 novembre dernier. Avant d’engager la discussion sur chacun des ingrédients cités dans la partie « Des ingrédients controversés mais sûr », il nous semble nécessaire de faire une mise au point sur le code EAN des produits, puisque la FEBEA assure que celui-ci n’a pas vocation à les identifier : cet élément est indiqué en début de page 5 du livre blanc.

(c) Photo INCI Beauty

Il se trouve que nous connaissons très bien ce domaine, c’est à vrai dire notre premier métier que de comparer les prix d’un produit et donc de traiter cette information essentielle, qu’est le code-barres d’un produit.

Lorsque vous êtes en caisse d’un magasin, le petit bip que vous entendez à chaque passage du produit devant le scanner, incrémente malheureusement la note que vous aurez à payer à la fin. C’est en fait l’EAN (EAN13 ou code-barres) du produit qui est scanné et qui permet à la caisse de l’identifier automatiquement pour obtenir son prix. Si l’EAN ne permettait pas une identification unique du produit, il serait alors impossible à la caisse, aussi intelligente soit-elle, d’identifier sa valeur. Aujourd’hui, un marchand qui veut vendre ses produits sur Amazon, Google Shopping ou sur n’importe quel autre support doit fournir le code-barres de ses produits, en dehors de certains secteurs comme la mode et de quelques autres exceptions. Le code-barres est devenu une norme d’identification quasi universelle dans tous les domaines de la consommation, mais à en croire la FEBEA, ce ne serait pas le cas en cosmétique ?

Un organisme mondial nommé le GS1 attribue les codes-barres EAN13 et garantit leur unicité. Au titre de notre comparateur de prix, nous avons été membre du GS1 pendant plusieurs années, et j’ai fait partie (Jean-Christophe) d’un groupe de travail au sein de cet organisme avec d’autres acteurs comme des fournisseurs, des marques et des distributeurs pour réfléchir à la conception d’une fiche produit dans le domaine du jouet. En quelque sorte, il s’agissait de créer une base de données caractérisant les produits du secteur, identifiés de manière unique par leur code-barres (GTIN, EAN13 ou GTIN13). Celle-ci permettrait à terme une meilleure communication des informations entre chacun des acteurs, de manière que, la marque fournisse les informations au fournisseur qui lui-même les transmettent au distributeur, qui en mentionnera certaines sur le ticket de caisse au consommateur.

Dans le jouet en tout cas, la nécessité était établie qu’un produit identifié par son code-barres devait en changer dès lors qu’une de ses caractéristiques ait été modifiée : pour la cohérence du marché et la bonne marche du système. Je vous explique tout cela, parce que dans son document, la FEBEA semble faire porter aux applications la responsabilité d’erreurs d’ingrédients (toujours page 5, premier pavé rose) et de laisser croire que le code EAN d’un produit « cosmétique » servirait à des fins logistiques, ce qui est absolument faux : il pourrait en effet servir à cela mais dans ce cas il n'identifierait pas le produit sur le marché, ce serait un autre code : ce n’est au final non pas une question de logistique mais vous allez bientôt le comprendre, une simple question de mauvaise ou bonne volonté, selon le sens où l'on se pose la question.

Pour pouvoir acheter un code-barres et l’apposer sur un produit, une entreprise doit au préalable devenir membre du GS1 (moyennant un abonnement annuel, dépendant de son chiffre d'affaires). L’organisme attribue alors un GLN (Global Location Number), qui identifiera l’entreprise dans le système, ainsi qu’un préfixe (GCP Global Company Prefix) comprenant 6 à 11 chiffres en fonction des besoins. Celui-ci commencera par un nombre compris entre 300 à 379, si la marque déclare ses code-barres en France.

Ce préfixe formera la première partie du code-barres, la seconde étant constituée d’un identifiant spécifique défini par la marque et d’une clef de contrôle. C’est à partir de ce moment que les problèmes commencent. Bien que le GS1 explique aux marques la bonne manière de faire, et qu’un nouveau code-barres devrait être lié à chaque nouveau produit lancé sur le marché, l’organisme n’a aucun poids pour imposer cette vue. Si bien que finalement, les marques font ce qu’elles veulent : néanmoins pour leur intérêt, celui du consommateur et des différents acteurs du marché, il est nécessaire qu'elles adoptent cette pratique, c’est le cas d'ailleurs la plupart du temps.

En cosmétique, le problème n’est absolument pas que les marques n’aient pas compris ce fonctionnement : une mousse à raser Vichy n’a pas le même code-barres que le gel douche de la même marque, de manière à ce que par exemple, le distributeur puisse apposer un prix différent à chacun d'entre eux. La question essentielle est en fait de savoir, si la modification d’un ou plusieurs ingrédients dans un produit cosmétique doit donner lieu à un nouveau code-barres ou non ? 

Une marque change aujourd'hui la formule de ses produits pour différentes raisons : changement de fournisseur, optimisation des coûts, restriction voire interdiction imposée par la législation ... Malheureusement, la plupart d'entre elles en cosmétique ont pris la fâcheuse habitude de ne pas changer de code-barres à chaque fois. Ceci induit de fait de nombreuses erreurs sur le marché.

Par exemple, la plupart des sites de ventes en ligne (parapharmacies, Bio …) affichent des listes INCI aux consommateurs qui sont fausses pour ces raisons.

Début 2017, alors que nous commençons à tester les ingrédients contenus dans les produits, nous faisons un article sur une mousse à raser de la marque Vichy. Pour ce faire, nous nous servons des compositions que l’on trouve sur internet, y compris sur le site de la marque, dans lesquelles est indiquée la présence de TRICLOSAN. Il se trouve que ce conservateur est interdit dans les mousses à raser depuis juillet 2015 en Europe. Nous rédigeons alors un article « incendiaire » contre la marque qui propose un ingrédient interdit sur le marché. Par acquit de conscience, nous décidons toutefois d’aller vérifier la composition directement en parapharmacie, et là, nous constatons qu’il n’y a pas de TRICLOSAN dans la composition.

Donc pour résumer, 1 an et demi après l’interdiction d’utiliser du TRICLOSAN dans les mousses à raser en Europe, l’ingrédient apparaissait toujours sur tous les sites de parapharmacies, y compris sur le site de la marque. Quelle gestion ! Je tiens à préciser qu’aucune des applications citées par la FEBEA n’existaient à l’époque et que, le problème est bien lié à une mauvaise utilisation du code-barres par les marques de cosmétiques.

Une mousse à raser avec ou sans TRICLOSAN n’est pas le même produit, même si cela paraît être une évidence, il est bon de le rappeler.

Si la marque avait pris la peine de changer le code-barres de son produit dès lors qu’elle ait modifié ses ingrédients, ce problème ne se serait jamais produit, y compris sur son propre site internet.

Avant même de lancer l'application INCI Beauty, nous avons pris en compte ce phénomène dans l'algorithme de l'application, mais comme la FEBEA n'a pas pris la peine de nous interroger à ce sujet ! 

Un second problème, tout aussi grave il me semble, est aussi induit par cet effet. Si vous souhaitez acheter un cosmétique sur internet, il y de fortes chances que vous passiez à un moment donné par Google Shopping. Comme ce comparateur utilise le système GTIN codé sur 14 chiffres (un zéro + l’EAN13) pour identifier les produits de manière unique, plusieurs versions d’un même gel douche pourrait être proposé à l’utilisateur, avec une liste INCI qui serait de fait fausse pour au moins une de celles-ci. On trompe donc l’utilisateur sur la marchandise, puisque ce dernier pourrait avoir l’impression d’acheter la dernière version du produit, ce qui pourrait ne pas être le cas. Cette tromperie n’est pas lié à Google Shopping, mais bien aux marques qui n’ont pas modifié l’EAN du produit, considérant qu'un produit cosmétique est identique dès lors qu'il a le même nom et la même forme.

Pour conclure, contrairement à ce que semble indiquer la FEBEA, il est légitime qu’une application en 2018 identifie un produit cosmétique par son code barre (EAN13 ou GTIN), comme cela se pratique dans tous les autres domaines de la consommation, les plus gros acteurs du marché comme Google Shopping sont là pour en attester.

En revanche, d’un point de vue chimique, si le moindre ingrédient est substitué par un autre dans un produit cosmétique, il devrait être référencé avec un code EAN13 différent à chaque fois, ce qui corrigerait immédiatement le défaut que nous venons de montrer sur le marché. Cette façon de faire, n’implique que peu d'efforts de la part des marques, il s’agit juste d’une question de bonne volonté. Cependant, elles n'ont pas toujours intérêt à le faire ! 

Quelques sources :

Le code EAN13 (Wikipedia)

L'abonnement au GS1

Notre précédent article sur le sujet :

FEBEA : des fausses informations au service de la beauté !

 

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