Temps de lecture : 9 minutes | Publié le 03/12/2018 | Jean (INCI Beauty)
Le 7 novembre 2018, la commission européenne a émis plusieurs rapports relatifs aux produits cosmétiques en ce qui concerne les substances présentant des propriétés perturbant le système endocrinien. Elle indique qu'elle établira "d’ici le 1er trimestre 2019 une liste prioritaire de perturbateurs endocriniens potentiels auxquels ne s’appliquent pas déjà les interdictions prévues par le règlement sur les cosmétiques". Intéressant, puisqu'il s'agit ici de substances autorisées par le règlement (en dehors de l'annexe II), mais qui sont suspectées de malmener notre système hormonal. Ensuite, la Commission chargera le CSSC (Comité Scientifique pour la Sécurité des Consommateurs) d’évaluer ces substances dans les plus brefs délais, on espère qu'un calendrier sera précisé et respecté.
Aujourd'hui, un flou juridique existe autour de ces substances suspectées de perturber notre système hormonal (qui contaminent aussi l'environnement et affectent les espèces animales), puisque le règlement ne contient aucune disposition spécifique les concernant. Néanmoins, la commission précise que les perturbateurs endocriniens "suspectés" classés CMR (Cancérogènes, Mutagènes ou Repro-toxiques) sont déjà pris en compte par la directive. En effet, à l'article 15 du réglement des cosmétiques, il est indiqué que les substances CMR de catégorie 1A ou 1B et de catégorie 2 (*) figurant à l’annexe VI, partie 3, du règlement (CE) nº 1272/2008 doivent en principe être interdites, sauf dans le cas de dérogations exceptionnelles. Et lorsque ce n'est pas le cas et que la substance est jugée douteuse, celle-ci est soumise à une évaluation du CSSC. Mais la nature particulière d'un perturbateur endocrinien fait qu'un amendement spécifique doit être ajouté dans la réglementation.
A la décharge du législateur, il est extrêmement difficile de prouver qu'une molécule est un PE (Perturbateur endocrinien) étant donné un mode d'action très particulier qui ne respecte quasi aucune logique, d'autant plus que l'on juge aujourd'hui une substance chimique à la fois pour le danger qu'elle représente, le risque qu'elle peut provoquer sur la santé humaine et l'effet de causalité qu'il peut exister entre les deux.
Un tigre est un animal dangereux, mais ce n'est pas pour autant que le risque qu'il représente sera le même pour celui qui est assis dans les tribunes d'un cirque, que pour le dompteur qui le fait parader. Pour une molécule chimique, c'est un peu la même chose, ses caractéristiques en font une molécule potentiellement dangereuse, mais dont le risque n'est avéré que pour une tranche d'âge donnée, un type de population (femme enceinte, personnes allergiques ...), à partir d'une certaine concentration, d'un nombre d'exposition répété ou d'une utilisation particulière (produit rincé ou non rincé, par exemple). Si vous prenez un doliprane 1000 mg parce que vous avez mal à la tête, l'idée ne vous viendrait pas d'en prendre plusieurs à la fois ou d'en donner un à votre enfant de 5 ans, en cosmétique c'est la même chose.
En plus de cela, lorsque l'on parle de PE, l'affaire se complique, puisque la concentration la plus importante n'est pas toujours la plus toxique. Lorsqu'il est en présence d'autres PE ou d'autres ingrédients (effet cocktail), il peut avoir des modes d'interactions totalement différents de ceux qu'il aurait pu avoir tout seul. De plus, lorsque cette toxicité se produit, cela peut être des années après l'exposition voire même celle-ci peut se transmettre aux enfants et se révéler chez eux à un âge avancé ! En 1970, lorsque Arthur L Herbst, un chercheur américain, constate une recrudescence de cancers gynécologiques chez des adolescentes et jeunes adultes : il est mis en évidence que ces femmes étaient nées de mères qui avaient pris du distilbène, un oestrogène de synthèse : c'est un des premiers cas de PE que l'on connaisse.
Vous comprenez bien que dans de telles conditions, le législateur ait du mal à légiférer, le scientifique à conclure et que les grandes marques profitent de cette situation. Néanmoins, nous devons prendre conscience que l'enjeu pour nous tous, l'avenir de nos enfants, de notre planète est primordial.
Perturbateurs endocriniens suspectés sur INCI Beauty
Aujourd'hui, un certain nombre d'affections semblent être la conséquence d'une exposition aux PE : baisse de la qualité du sperme, augmentation de la fréquence d’anomalies liées aux fonctions de reproduction, abaissement de l’âge de la puberté ... Le PE semblent aussi jouer un rôle dans la survenue de certains cancers hormonodépendants (Cancer du sein, de la prostate ...).
La Commission européenne, le 4 septembre 2017, a donné une définition des critères scientifiques pour déterminer un perturbateur endocrinien dans le cadre des règlements sur les produits phytosanitaires et sur les produits biocides. Celle-ci ouvre la voie à une définition plus large pouvant être exploitée dans d'autres domaines. Pour les pesticides et les biocides, il a été décidé que dès lors qu’il est prouvé qu’une substance est un perturbateur endocrinien, elle ne soit plus autorisée à être utilisée et que les possibilités de dérogation soient très limitées.
La France soutient aussi une approche visant à définir une classe d’identification « Perturbateur endocrinien » de 3 niveaux : avéré, présumé ou suspecté, un peu à la manière des CMR (*). De plus, nous ajoutons, qu'il serait bon que dès lors qu'une substance est suspectée d'être un PE, elle soit systématiquement interdite en cosmétique, au moins jusqu'à ce qu'il soit déterminé une utilisation sûre de la molécule par le CSSC, le principe de précaution prévalant sur des études qui peuvent durer plusieurs dizaines d'années. D'autant plus que, la commission indique que "la controverse existante quant à la question de savoir si et comment certains principes toxicologiques, tels que celui du «seuil sans risque» – c’est-à-dire la dose en deçà de laquelle aucun effet néfaste ne devrait se produire – sont applicables pour évaluer l’innocuité des perturbateurs endocriniens. Une partie des scientifiques estime qu’il n’est pas possible d’établir un seuil sans risque pour les perturbateurs endocriniens". Autrement dit, s'il est inutile de réduire la concentration d'un PE pour anihiler son action dans les produits cosmétiques, autant l'interdire dès qu'il y a un doute.
Depuis 2014, la France mandate l'ANSES pour une expertise de 5 substances par an (shéma ci-dessous) : ce mandat a été repris dans le cadre du 3ème Plan National Santé Environnement (PNSE3, 2015-2019), si vous suivez INCI Beauty, certaines de ces molécules utilisées en cosmétiques sont déjà classées en rouge sur l'application.
(c) Image de Solidarites-sante.gouv
Sachez aussi qu'en France plusieurs cohortes (des groupes de personnes qui sont étudiées pour comprendre certaines pathologies) sont à l'étude depuis des années pour mieux comprendre les perturbateurs endocriniens. Grâce à la cohorte PELAGIE (pour Perturbateurs endocriniens : étude longitudinale sur les anomalies de la grossesse, l’infertilité et l’enfance), 3500 couples mères-enfants habitant en Bretagne sont suivis depuis 2002. Plus récente, la cohorte ELFE (pour Etude longitudinale française depuis l’enfance), a été lancée en 2011, et suit 20 000 enfants, nés en pendant cette même année.
Pour revenir à la vision de la commission en matière de PE, notez que le règlement REACH qui concerne les molécules chimiques de manière large, devrait prendre de plus en plus de place dans les cosmétiques. Dans REACH, les perturbateurs endocriniens sont identifiés comme des substances extrêmement préoccupantes (SVHC). Si ces substances sont considérées comme prioritaires, elles sont soumises à des exigences d’autorisation. REACH devrait aussi permettre de révéler les impacts environnementaux de certaines molécules.
Nous travaillons sur cette base avec SIGMA (l'école d'ingénieur de Chimie de Clermont-Ferrand), afin d'en exploiter certaines informations qui pourraient être utiles à INCI Beauty.
Pour finir, la commission précise dans son rapport que "Le CSSC et ses prédécesseurs, le comité scientifique des produits de consommation (CSPC) et le comité scientifique des produits cosmétiques et des produits non alimentaires destinés aux consommateurs, ont en effet déjà évalué les ingrédients cosmétiques suspectés de présenter des propriétés perturbant le système endocrinien [...] les ingrédients pour lesquels le CSSC et ses prédécesseurs ont émis des avis scientifiques de ce type figurent plusieurs parabènes (qui sont des agents conservateurs cosmétiques), le triclosan (utilisé en tant qu’agent conservateur et déodorant), l’homosalate (utilisé dans les écrans solaires comme filtre ultraviolet et également pour ses propriétés en matière d’entretien de la peau), les benzophénones (principalement utilisées pour préserver les produits cosmétiques des effets de la lumière ultraviolette), le 4-méthylbenzylidène camphre et le 3-benzylidène camphre (utilisés comme filtres ultraviolets), la mélatonine (utilisée comme antioxydant), le résorcinol (teinture capillaire) et le cyclométhicone (qui possède diverses fonctions: antistatiques, adoucissantes et lissantes pour la peau, ou de conditionneur capillaire, entre autres).". Comme vous pouvez le constater ces ingrédients sont déjà classés en tant que "Perturbateur Endocrinien Suspecté" sur INCI Beauty.
(*) La classification européenne des CMR se répartit en 3 groupes :
- 1A : le potentiel CMR de la substance est avéré.
- 1B : le potentiel CMR de la substance est supposé.
- 2 : le potentiel CMR de la substance est suspecté.
Références :
- INSERM : les perturbateurs endocriniens
- Ministère des solidarités et de la santé : Perturbateurs endocriniens
- Perturbateurs endocriniens et risques de cancer
- INRS : Les perturbateurs endocriniens
- Le plan national santé environnement (PNSE3) 2015-2019
- RAPPORT DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL (7 nov. 2018)