Temps de lecture : 7 minutes | Publié le 15/04/2020 | Jean (INCI Beauty)
Les sulfates ont mauvaise presse parmi les consommateurs, on va même jusqu'à dire qu'ils sont cancérigènes. Le terme "sulfater" qui à la base désignait l'action de vaporiser du sulfate de cuivre sur les plantes, a aujourd'hui pris un sens bien plus large et concerne tout engrais ou fongicide utilisé dans le domaine agricole. Mais les sulfates que l'on utilise en cosmétique sont-ils comparables et sont-ils vraiment nocifs pour notre santé et notre environnement ?
Elaborée à partir d'un mélange d'eau, de sulfate de cuivre et de chaux, la bouillie bordelaise est l'un des fongicides à base de sulfate les plus connus. Utilisée au départ pour dissuader les maraudeurs de dérober les raisins dans les vignes du Médoc, on découvrit alors ses propriétés exceptionnelles pour prévenir et éradiquer le mildiou des rangs de ces prestigieux vignobles. La bouillie bordelaise contient du cuivre, très toxique pour l'environnement, c'est la raison pour laquelle son utilisation reste aujourd'hui très controversée. Néanmoins, elle est "tolérée" en agriculture biologique sous certaines conditions d'utilisation : 6 kilogrammes de cuivre par hectare et par an.
Les sulfates sont des sels qui se forment lorsque l'acide sulfurique réagit avec un autre produit chimique. Ce sont des ingrédients synthétisés en laboratoire à partir d'alcool gras, lorsqu'ils ne sont pas d’origine minérale (inorganique). Ces alcools gras peuvent être d'origine végétale, animale, ou pétrochimique.
Les sulfates sont utilisés dans de très nombreux domaines, et chacun d'entre eux peut avoir des propriétés très différentes.
En cosmétique spécifiquement, les sulfates sont utilisés en tant que tensioactifs, colorants, antimicrobiens ou encore antistatiques. Ils peuvent être employés dans des concentrations pouvant atteindre jusqu'à 50% du total des ingrédients.
On retrouve les sulfates de manière naturelle, dans de nombreux minéraux, comme la barytine (BaSO4), l'epsomite (MgSO4 · 7H2O) et le gypse (CaSO4 · 2H2O) : une fois dissous, ils contribuent à la teneur en minéraux de nombreuses eaux potables.
L'origine des sulfates peut être diverse et variée :
Le SODIUM LAURETH SULFATE (SLES) présent dans nos gels douche et shampooings, issu d'huiles végétales ou du pétrole, utilise un procédé toxique pendant sa fabrication nommé "éthoxylation" qui emploie de l'oxyde d’éthylène : un gaz toxique, cancérigène et mutagène. Le SLES est un SLS éthoxylé.
Le SODIUM LAURYL SULFATE (SLS), présent dans de nombreux dentifrices, est autorisé en bio. Il n'utilise pas d'éthoxylation : des acides gras sont extraits et convertis en alcools gras, puis sulfonés pour devenir de sels cristallins.
Le MAGNESIUM SULFATE, autorisé lui aussi en Bio, est inorganique. Il est obtenu par cristallisation d'eau de mer ou par réaction chimique entre l'oxyde de magnésium et l'acide sulfurique.
Compte tenu de ce que nous venons d'exposer, il est évident que l'impact ou non des sulfates sur notre santé ou notre environnement n'est pas uniforme et global, chaque substance pouvant avoir ses propres spécificités. Néanmoins, selon le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) les sulfates ne sont pas cancérigènes. Les concernant, on parle plutôt d'effets chroniques lors d'une utilisation sur le long terme : le plus haut risque étant l’irritation et la sécheresse cutanée, d'où l'importance de bien rincer le produit après son utilisation : c'est la raison pour laquelle, tous les sulfates sont classés de base en Jaune sur INCI Beauty.
D'un point de vue environnemental, certains d'entre eux peuvent poser des problèmes, comme les éthoxylés qui auront un impact indéniable sur notre planète.
Nous avons décidé de passer en revue la plupart des sulfates utilisés dans les produits cosmétiques. Pour l'écotoxicité des ingrédients, nous nous référons au règlement REACH de l'ECHA (l'Agence Européenne des Produits Chimiques). Nous avons passé en revue les 160 sulfates utilisés dans au moins un produit cosmétique : nous ne citons ici que les principaux.
Tous les sulfates autorisés en Bio ne sont malheureusement pas neutres écologiquement parlant. Certains, d’origine végétale ou minérale, sont possiblement écotoxiques pour l’environnement aquatique, et non-biodégradables. Mais comme ils sont autorisés en Bio, leurs procédés de fabrication sont en général plus respectueux, si on les compare à des équivalents plus traditionnels, d'origine pétrochimique par exemple.
Origine | Environnement | |
SODIUM LAURYL SULFATE (SLS) | Végétale, Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Chronic 3) |
MAGNESIUM SULFATE | Minérale, Pétrochimique | - |
SODIUM SULFATE | Minérale, Pétrochimique | - |
SODIUM CETEARYL SULFATE | Végétale, Animale, Pétrochimique | - |
SODIUM COCO-SULFATE | Végétale, Pétrochimique | - |
AMMONIUM LAURYL SULFATE | Végétale, Pétrochimique | - |
ZINC SULFATE | Minérale, Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Acute 1, Aquatic Chronic 1) |
MANGANESE SULFATE |
Minérale, Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Chronic 2) |
Certains des sulfates utilisés en cosmétiques sont à éviter, nous en avons noté trois (en rouge sur INCI Beauty) :
|
Origine | Environnement (REACH) | |
SODIUM LAURETH SULFATE (SLES) | Végétale, Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Chronic 3) / Composé éthoxylé |
BARIUM SULFATE | Minérale, Pétrochimique | - |
BEHENTRIMONIUM METHOSULFATE | Végétale, Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Acute 1, Aquatic Chronic 2) |
SODIUM MYRETH SULFATE | Végétale, Pétrochimique | Composé éthoxylé |
MAGNESIUM LAURETH SULFATE | Végétale, Pétrochimique | Composé éthoxylé |
SODIUM COCETH SULFATE | Végétale, Pétrochimique | Composé éthoxylé |
N,N-BIS(2-HYDROXYETHYL)-P-PHENYLENEDIAMINE SULFATE | Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Acute 1, Aquatic Chronic 2) |
2-AMINO-4-HYDROXYETHYLAMINOANISOLE SULFATE | Pétrochimique | Ecotoxique (Aquatic Acute 1, Aquatic Chronic 2) |
REACH est un règlement de l'Union Européenne entré en vigueur en 2007. Il concerne les risques liés à l'utilisation des produits chimiques et permet donc de recenser, d’évaluer et de contrôler les substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen. REACH collecte des informations en provenance des industriels et établit des classifications. Depuis le 31 mai 2018, il n'est plus possible de fabriquer ou d'importer des substances dans l'Union Européenne à plus d'une tonne par an, sans qu'elles ne soient enregistrées dans REACH.
Pour ce qui nous concerne, voici l'explication des termes employés dans les tableaux précédents :
Aquatic Acute : Très toxique pour les organismes aquatiques
Aquatic Chronic : Toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme
Les numéros situés à droite varient de 1 à 4, et indiquent que l'information est plus ou moins confirmée par les industriels
1 : Reconnu
2 : Potentiel
3 : Plus de 50% des informations collectées sont en faveur de
4 : Les données collectées sont minoritaires
Remerciements à Yuriko, l'ingénieure SIGMA qui travaille avec nous, pour les recherches, recrutée grâce à l’aide financière accordée par Clermont Auvergne Métropole.
A la suite de cet article, nous avons reclassé sur INCI Beauty 16 sulfates de jaune à orange, et 4 de orange à jaune.
Voir aussi :
Sources :